Thiaroye 44 ou l’expression suprême de l’ingratitude de la France coloniale

Survenu officiellement dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1944, le drame de Thiaroye est une véritable et abominable tragédie décidée et orchestrée par une puissance coloniale en perte de repères.

Ce drame sans état d’âme est une dose létale inoculée et injectée dans le corps d’une Afrique loyale dépossédée de son manteau royal par une force coloniale déloyale. Thiaroye 44 est l’expression suprême de l’ingratitude et du terrorisme colonial.

Créé, en 1857, par Louis Faidherbe, sous le Second Empire dirigé dans une main de fer par Louis Napoléon Bonaparte qui deviendra Napoléon III, le Régiment des Tirailleurs sénégalais allait implacablement participer aux deux plus grands conflits mondiaux.

Cependant, il appert judicieux de préciser qu’il existait trois catégories de Tirailleurs sénégalais : la première catégorie était composée « d’esclaves affranchis » achetés par les Français à leurs maîtres ; la deuxième, c’étaient « des prisonniers de guerre », et la dernière était celle « des volontaires libres » alléchés par les promesses juteuses des recruteurs, c’est-à-dire obtenir la « citoyenneté française » et les mêmes droits que les Français de la Métropole. Gonflés à bloc, ces Soldats noirs, durs comme un roc, allaient massivement, vaillamment et dignement payer « l’impôt du sang » pour sauver la France, la « Mère-Patrie ». Venus de l’Afrique occidentale et de l’Afrique équatoriale françaises, ces Tirailleurs, embarqués dans des conflits dont ils ignorent les raisons et les enjeux, allaient écrire de leur sang noir les pages les plus glorieuses de l’armée française ! Insensibles au froid, ils étaient aussi intrépides dans les tranchées !

Au reste, ce qui est frappant dans la Première Guerre mondiale, selon le grand historien sénégalais Ibader Thiam, est que le Sénégal, qui comptait un million deux cent mille habitants, avait mobilisé 28 mille soldats soit un sur trois (1/3) de la population mobilisable alors que la France, le principal pays concerné, n’a mobilisé qu’un sur dix (1/10) de sa population.

Ironie du sort, après service rendu à la France, ces vaillants et loyaux guerriers noirs, arrivés au camp de Thiaroye, à proximité de Dakar, réclamant à juste titre « la régularisation de leur solde et indemnités », allaient subir, dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1944, une sanglante répression qui, officiellement, causera la mort de 35 Tirailleurs, 48 d’entre eux seront arrêtés et condamnés à des peines de dix ans de prison !

Ces morts seront par la suite enterrés à la hâte, sans honneurs militaires, dans une fosse commune, dans l’anonymat ! Certains de ces rescapés, terrorisés, seront rapatriés « bredouille » dans leurs pays respectifs !

Cette barbarie de Thiaroye a inspiré des intellectuels africains comme Ousmane Sembène. Dans son film intitulé « Camp de Thiaroye », le cinéaste né à Ziguinchor a levé un coin du voile sur cette tragédie. Mais Léopold Sédar Senghor est le premier à critiquer vertement cette ingratitude des Français dans un poème célèbre « Tyaroye » qu’il écrit à Paris au lendemain de cette tuerie. Ainsi, on peut retenir ces propos de l’enfant de Joal, au sujet des Tirailleurs :

« Non, vous n’êtes pas morts gratuits. Vous êtes les témoins de l’Afrique immortelle.

Vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera demain.

Dormez ô morts ! et que ma voix vous berce, ma voix de courroux que berce l’espoir. »

Thiaroye 44 fait partie intégrante de l’histoire du Sénégal. Cette tragédie honteuse doit servir de leçon à la jeune génération afin qu’elle ouvre davantage les yeux face à un monde complexe marqué par l’hypocrisie et la supercherie des grandes puissances et la naïveté des pays sous-développés.

Par Abdoulaye Seydi, 
Doctorant en Littérature africaine à l’UGB 
Inspecteur de la Jeunesse au Ministère de la Jeunesse.

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